Comment gérer l'arrivée d'un bébé prématuré dans une famille ?
Avant de plonger dans la prématurité, personne ne peut imaginer ce que cela va représenter comme chamboulements au sein d’une famille. Pour ceux qui ont la chance de ne pas avoir vécu une naissance prématurée, ils imaginent qu’il s’agit de quelques semaines à l’hôpital et on en parle plus. Hélas, la prématurité est bien plus complexe que ça. Elle touche une famille au sens large, les parents bien entendu qui, s’ils le peuvent, vont se relayer au chevet de leur enfant afin de lui offrir toute la présence dont il a besoin, la fratrie qui se retrouve désarticulée autour de ce nouveau bébé qu’ils peinent à connaître, les grand-parents, les oncles et tantes, les amis qui sont souvent impuissants face à cette naissance prématurée.
Afin d’avoir quelques clés de compréhension sur la prématurité et ce qu’elle entraine dans son sillon, nous avons souhaité nous entretenir avec Daniele Vandenberghe, psychologue du service de réanimation néonatale de l'hôpital Cochin-Port-Royal depuis plus de 20 ans.
Vous accompagnez psychologiquement les familles, les bébés et les soignants, comment cela se passe au quotidien ?
Je suis psychologue dans le service depuis 21 ans, j’accompagne les parents, les enfants et l’équipe en réanimation, soins intensifs, pédiatrie.
Systématiquement, je me présente auprès des parents dans les tous premiers jours après la naissance de leur enfant. Auparavant, ils ont besoin d’avoir des réponses à leurs questions médicales, prendre conscience de ce qui vient de se passer…C’est ensuite vers J+3 que je vais à leur rencontre.
L’idée étant d’être une source de proposition pour parler de ce qui s’est passé, de répondre à leurs demandes, de leur proposer un accompagnement spécifique.
Bien entendu, tous les parents ne se saisissent pas de ce suivi dans l’immédiat et parfois pas du tout. Il y a des situations qui s’y prêtent moins, certaines personnes ne souhaitent pas me parler, d’autres personnes peuvent les accompagner. Certains sont assez frileux au début, puis lorsqu’ils se rendent compte que ma démarche ne se veut pas intrusive, ils peuvent changer d’avis.
J’interviens également dans des situations plus délicates qui impliquent une dégradation de l’état de santé du bébé nécessitant une réflexion éthique collégiale. Dans ce cas, un espace de parole aux parents est important pour les accompagner dans leur cheminement et éclairer éventuellement les médecins.
Je suis formée aux bébés depuis très longtemps. Auparavant, je travaillais dans différents services de la petite enfance comme les haltes garderies, les crèches, les PMI, les pouponnières… J’ai commencé à travailler auprès de poly-handicapés qui étaient souvent des anciens bébés prématurés.
J’ai toujours eu à cœur de développer l’attention au développement de l’enfant.
Une attention particulière au bien-être des bébés
Dans le service dans lequel je travaille à Port-Royal, je ne m’occupe pas que des parents, je suis aussi attentive aux vécus des bébés. En effet, je veille en collaboration avec la kinésithérapeute et des infirmières aux soins du corps qui leur sont prodigués. Je veille à leur bien-être afin qu’ils puissent être le plus apaisé possible pendant la durée de leur hospitalisation qui est toujours source d’hyperstimulation pour eux.
Ils évoluent dans un univers très bruyant, les gestes qui sont pratiqués sur eux peuvent susciter de la douleur, il est important de la repérer et de la prendre en charge. Tous les bébés ne réagissent pas de la même manière. Il faut être attentif à leurs réactions pour mieux les accompagner.
Nous veillons à ce que l’hospitalisation du bébé se passe au mieux jusqu’au terme. Est-ce que les bébés ont un éveil de qualité malgré le séjour en couveuse ? Leur hospitalisation ? Sont-ils en interaction avec nous, mieux avec leurs parents? C’est important de veiller à la manière dont ils se construisent psychiquement pendant l’hospitalisation.et de les aider s’ils manifestent des signes de repli par exemple.
Une écoute pour les soignants
Concernant l’équipe de soignants, je me dois d’être à leur écoute également. Ils vivent des moments difficiles, un bébé qui meurt, l’annonce d’un handicap aux parents, l’anxiété des parents … Je suis là pour échanger avec eux, pour parler, pour accompagner si besoin.
Quels sont les séquelles psychologiques que peut laisser une naissance prématurée autant à un bébé qu’à ses parents, sa fratrie et l’entourage direct ?
Ce qui est compliqué pour les parents, c’est de gérer leur solitude malgré leur entourage. Il se peut qu’en voulant bien faire, l’entourage extérieur ne soit pas du tout ajusté. Hormis si ce vécu a été partagé par eux même, les proches, sans le vouloir bien entendu, sont souvent maladroits dans leurs propos et ne rassurent pas toujours les parents. Il est difficile de se rendre compte du bouleversement psychique qu’une naissance prématurée peut avoir sur des parents.
Ils se plaignent souvent du décalage ressenti. Que ce soit les grands-parents, les oncles et tantes, les amis... Il y a souvent un énorme décalage entre la vie à l’hôpital et la vie “normale”. Le temps vécu n’est pas le même. Là où des parents vont être fous de joie pour une amélioration minuscule, l'extérieur ne va pas mesurer l’importance que cela représente pour eux. Les parents disent souvent “qu’ils se sentent vivre sur une autre planète avec leur bébé pendant l’hospitalisation”.
Ce qui reste bien souvent insupportable pour les parents, ce sont les gens qui veulent les faire relativiser comme si la prématurité était de nos jours assez banal.
Il faut prendre conscience que ces parents vivent désormais avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Même si tout va bien pendant l’hospitalisation, il est impossible d’assurer comment va se passer la suite. Personne ne peut affirmer que le développement de l’enfant se fera sans encombre mais cela est aussi vrai pour un bébé né à terme sans hospitalisation ! Les parents vont être très attentifs au développement de leur enfant, à ses 1ers apprentissages: marche, langage… souvent jusqu’à ses 6 ans, ce qui équivaut à l’entrée en primaire, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. C’est pour cela que les enfants grands-prématurés sont suivis jusqu’à leurs 7 ans.
La prématurité après l’hospitalisation
La majorité des enfants évoluent sans encombre mais certains problèmes peuvent apparaître plus tard dans le développement de l’enfant. Par exemple, on sait que certains bébés très stimulés pendant la période de réanimation pourront avoir des problèmes d’attention et de concentration. En effet, le milieu de la réanimation est trop stimulant pour des bébés même si de gros progrès ont été faits ces dernières années, ils pourront avoir plus de mal à rentrer dans les apprentissages et auront besoin d’un suivi spécifique mais tous ne rencontreront pas ce problème, nous devons continuer à faire des recherches sur ce sujet.
En général, les parents commencent à se tranquilliser vers l’arrivée au CP, quand les apprentissages liés à la marche, la parole, la compréhension sont acquis.
Les conséquences de la prématurité n’est pas uniquement liée au médical. Les parents peuvent garder une angoisse autour de l’évolution du développement de leur enfant. La manière dont les parents auront vécu toute cette hospitalisation va influer sur l’enfant d’où l’importance du psychologue dans ces services.
On sait aussi qu’un enfant né prématurément n’aura probablement pas la même évolution en fonction du milieu dans lequel il évolue. Les enfants n’ont pas le même suivi, les mêmes stimuli, les mêmes soins… Ils ne partent pas tous avec les mêmes bagages.
Par conséquent, l’équipe ne peut pas rassurer totalement les parents, c’est l’enfant qui va les rassurer via son développement. On ne va pas pouvoir anticiper, c’est un long cheminement partagé.
La prématurité à vie
Dans l’imaginaire collectif, la prématurité s’arrête quand l’enfant sort de l’hôpital, alors qu’en réalité, en fonction du vécu des parents, la prématurité de cet enfant là, peut durer… toute une vie! Certains parents vont dire de leur enfant “il se bat comme un lion”, ‘c’est un(e) warrior”, “C’est un(e) battant(e)”, et d’autres utilisent des termes liés à la fragilité en restant dans une hyperprotection qui enferme l’enfant sur des supposés risques. Cela détermine en partie la façon dont les parents vont percevoir leur enfant dans le futur.
Le risque pour ces enfants nés prématurément, est donc qu’ils le restent à vie dans la tête de leurs parents. La normalité doit revenir vite au sein de la famille, car s’ils sont considérés comme “l’enfant prématuré de la famille”, ils peuvent être empêchés de bien grandir, d’avoir confiance en eux. L’hyper-vigilance des parents sur le développement de leur enfant peut avoir un impact sur le développement global.
Quelques soient les risques, les petits patients de Port-Royal sont orientés vers des CAMSP : Centres d’Action Médico-Social Précoce. Ces centres sont encadrés par une équipe pluridisciplinaire avec neuro pédiatres, pédopsychiatres, psychologues, kinés psychomotriciens, orthophonistes… en fonction des besoins de l'enfant, d’une suspicion de handicap ils sont pris en charge 1, 2, 3 fois par mois jusqu’à 3, 4 ans.
Gérer l’état psychologique des parents de bébés prématurés
Cette mise en relation est en lien aussi avec les risques qu’on ne voit pas forcément lors de l’hospitalisation, ça peut permettre aux parents de continuer à rencontrer un psychologue si la relation parent-enfant est difficile par exemple, cette équipe peut s’inscrire dans la continuité.
Parfois, le traumatisme des parents est plus compliqué à gérer que celui de l’enfant.
Le couple aussi peut être mis à rude épreuve. On ne sort pas toujours indemne d’une naissance prématurée. Le couple peut ne pas vivre le choc lié à la naissance de la même manière, des ajustements sont à trouver et une grande tolérance envers chacun est nécessaire.
D’autre part, nous disposons au sein de Port-Royal et de la Région Parisienne, d’une liste de pédiatres réseaux qui tout en suivant l’enfant vont pouvoir identifier les problèmes plus facilement. Je ne sais pas si c’est pareil dans d’autres hôpitaux en province.
L’ environnement sensoriel est pauvre à l'hôpital, parfois quand on revoit les bébés 1 mois après leur sortie, ce ne sont plus du tout les mêmes bébés. Ils sont rentrés chez eux et ont profité d’un univers bien plus riche. Ils sont alertes, curieux, très éveillés. Jusqu’au terme, le cerveau du bébé est en cours de développement, toutes les interactions sont importantes et notamment humaines.
Comment intégrer la fratrie lors d’une naissance prématurée ?
Concernant la fratrie, l’équipe soignante va les faire rentrer pour rencontrer le petit frère ou la petite sœur. Cette rencontre permet à la fratrie d’intégrer la présence du bébé afin qu’il ne soit pas considéré comme un étranger à son retour à la maison. On préconise qu’ils voient l’évolution de leur petite sœur petit frère car cela permet de comprendre pourquoi papa et maman sont inquiets, pourquoi ils pleurent… Ça leur donne des explications.
Il ne faut pas se fier à la réaction immédiate de l’enfant lorsqu’il voit le bébé, parfois ils ne disent rien à l'hôpital mais le lendemain tout le monde est au courant! Il n’y a aucun problème à ce que l’enfant ne réagisse pas outre-mesure. Il faut leur laisser le temps de réaliser.
Quand les frères et sœurs viennent c’est un grand jour, il y a tout un cérémonial. Ils comprennent pourquoi on ne peut pas ramener le bébé à la maison et ça facilite souvent les choses au quotidien.
La manière dont ils vivent l’hospitalisation du bébé va permettre de mieux vivre son arrivée à la maison. Il ne faut pas que l’hospitalisation de cet enfant soit un tabou à la maison pour que tout ce vécu se vive le mieux possible. Il est important aussi de les préserver en continuant à respecter leurs rythmes quand cela est possible. Si la fratrie a l’habitude que vous soyez avec eux le mercredi par exemple, il est important de continuer à le faire et couper avec l’hôpital. Il ne faut pas que les plus grands aient l’impression que ce bébé a changé leurs parents. Il faut préserver les grands parce qu’ils en ont besoin.
Quel comportement adopter pour les proches qui souhaitent soutenir la famille ?
Il est important de considérer l’enfant comme un enfant normal, le meilleur conseil c’est de voir l’enfant tel qu’il est sans lui coller une étiquette de bébé prématuré. Compliqué pour les parents pendant les 2 premières années qui doivent se repérer entre l’âge réel et l’âge corrigé. C’est surtout ça qui va impacter les parents et le regard de l’entourage: l’enfant a 9mois d’âge réel mais peut avoir 6mois d’âge corrigé car né 3 mois plus tôt! Ensuite, l’écart se régule.
Les grand-parents ont le droit de venir également mais pas tout de suite après la naissance. Un temps est donné prioritairement aux parents afin de prendre le temps de faire connaissance avec leur bébé. Cette rencontre peut permettre aux grands-parents de comprendre ce que vivent leurs propres enfants. Ils peuvent mieux appréhender le vécu.